Vendredi 6 avril, la communauté internationale s’est engagée à mobiliser 11 milliards de dollars pour éviter la faillite de l’État libanais. Mais les experts restent sceptiques quant à la capacité du gouvernement à sortir le pays de la crise.
Lorsque le président de la République libanaise Michel Aoun a averti, le 30 mars dernier, que le Liban était au bord de la faillite, ses propos ont provoqué une grande inquiétude dans le monde des affaires et au sein de l’opinion publique.
Le pays a été touché de plein fouet par la crise syrienne. À la veille de la guerre, en 2011, la croissance était de 9 %. En 2017, elle était tombée à 1,1 %. Avec une dette estimée à 80 milliards de dollars, soit 150 % du PIB (le troisième ratio le plus élevé au monde après le Japon et la Grèce), un déficit budgétaire qui atteint les 10 % du PIB, des infrastructures désuètes et surexploitées, et la présence de plus d’un million de réfugiés syriens, soit le quart de la population, les difficultés économiques du Liban n’étaient plus un secret.
Mais qu’une telle annonce vienne de la bouche du chef de l’État a provoqué un vent de panique. Malgré les tentatives du ministre des Finances et du gouverneur de la Banque centrale d’atténuer l’impact de la déclaration présidentielle,
un grand malaise s’est installé dans le pays. Et la perspective de la tenue d’une conférence internationale de donateurs et de bailleurs de fonds prévue à Paris le 6 avril, ainsi que les efforts du gouvernement pour faire adopter le budget 2018 avant cette échéance n’ont pas suffi pour rassurer les Libanais.
Bouffée d’oxygène
Le Liban espérait obtenir, lors de cette conférence intitulée CEDRE I, entre 5 et 6 milliards de dollars. Il en a finalement obtenu presque le double : 11 milliards de dollars (10,2 milliards de prêts et 860 millions de dons). Une bouffée d’oxygène salutaire qui vient à point nommé.
Cependant, tout en saluant les résultats de la conférence, les experts restent prudents sur la capacité du gouvernement à remettre le pays sur le chemin d’une croissance génératrice d’emplois et attractive pour les investissements.
En effet, dans un pays miné par la corruption et la mauvaise gouvernance, tous les indicateurs virent au rouge. Le chômage parmi les jeunes atteint 35 % à 40 %, affirme à MEE Jihad el-Hokayem, expert en marché financier et économiste.
Le Liban occupe la 133e place du classement ISO Doing Business de la Banque mondiale, la 135e place sur 137 pays quant au ratio Dette/PIB, et la 105e place du Forum économique mondial.
À LIRE : Le Liban sur la voie du scénario grec ou argentin de faillite financière de l’État ?
Il y a donc un travail de titan à faire et il n’est pas certain que le Liban dispose du cadre juridico-légal nécessaire, ni de la volonté politique indispensable pour réussir. Car les milliards promis par CEDRE I sont conditionnés à une série de réformes fiscales et économiques qui ne font pas l’unanimité parmi la classe politique.
« Certes, les résultats de CEDRE I sont encourageants, mais il aurait été préférable pour le Liban de procéder à des réformes avant de se rendre à cette conférence », observe Jihad el-Hokayem. Parmi les réformes préconisées par l’expert, « la bonne gouvernance, le développement du e-gouvernement et la transparence ».
Risques d’agitation sociale
Le pari est risqué, car l’aide promise à la conférence de Paris est surtout constituée de prêts, à des conditions avantageuses, certes, mais qui viendront grossir une dette publique déjà faramineuse.
Ces montants, étalés sur cinq ans, devraient servir à financer quelque 250 projets d’infrastructure, avec la participation du secteur privé. « C’est un processus qui commence pour moderniser notre économie, réhabiliter nos infrastructures et libérer le potentiel du secteur privé pour qu’il mène à une croissance durable et à la création d’emplois pour les Libanais », a assuré le Premier ministre, Saad Hariri.
Le gouvernement libanais compte sur l’exploitation de ses ressources offshore en hydrocarbures pour sortir de la crise (MEE/Sunniva Rose)
Toutefois, de nombreux obstacles se dressent devant ce processus. Pour mener à bien une partie de ces projets, l’État doit débourser près de 700 millions de dollars pour acheter à des particuliers des terrains où doivent être érigés des projets d’infrastructure. Or, cet argent fait défaut et personne ne sait comment le gouvernement compte le trouver.
La crainte est que les autorités décident d’augmenter les impôts et les taxes à un moment où les Libanais voient leur pouvoir d’achat fondre comme une peau de chagrin. « En période de stagnation économique, il ne faut pas augmenter les impôts mais au contraire les baisser, avertit Jihad el-Hokayem. Or, le gouvernement a déjà procédé [en 2017] à une hausse des impôts et cela est un mauvais signe. »
Toute velléité d’augmenter les impôts risque de provoquer une crise sociale aux graves conséquences. Anticipant une telle décision, le secrétaire général du Hezbollah a menacé, le dimanche 8 avril, de descendre dans la rue pour s’y opposer.
C’est la première fois que Hassan Nasrallah brandit l’option de la pression populaire pour contrer des politiques économiques et sociales qu’il juge en défaveur des classes les plus démunies.
Il est clair que le gouvernement n’aura pas les coudées franches et, s’il ne parvient pas à tenir ses engagements devant la communauté internationale en matière de réformes, une partie de l’aide promise pourrait ne jamais arriver.
Aussi, le Liban mise-t-il sur les retombées positives de l’exploitation de ses ressources offshore en hydrocarbures, après le lancement du processus le 9 février dernier. Mais c’est sans compter les complications qui se dressent devant ce dossier, notamment les menaces israéliennes d’empêcher le Liban d’exploiter le bloc 9, réputé riche en réserves gazières et revendiqué par Israël.
À LIRE : Gaz offshore : le prochain catalyseur d’une guerre entre Israël et le Hezbollah ?
Quelle que soit l’ampleur des difficultés auxquelles le gouvernement libanais doit faire face, CEDRE I aura écarté, momentanément, le spectre de l’incapacité de l’État libanais à rembourser ses dettes en devises étrangères, et donc une éventuelle dévaluation de la monnaie nationale. Une telle mesure risquerait de propulser sous le seuil de la pauvreté, du jour au lendemain, des centaines de milliers de familles. « Il n’y a pas de menace sur la livre libanaise cette année ou l’année prochaine, mais entre-temps, le Liban doit entreprendre des réformes structurelles pour relancer son économie », conclut Jihad el-Hokayem.
– Paul Khalifeh est un journaliste libanais, correspondant de la presse étrangère et enseignant dans les universités de Beyrouth.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le Premier ministre libanais Saad Hariri prononce un discours lors de la conférence économique pour le développement du Liban par les réformes et avec les entreprises (CEDRE) au siège du ministère français des Affaires étrangères à Paris, le 6 avril 2018 (AFP).