Quand l’immobilier se dit immuable !
Jihad EL-HOKAYEM,
expert en marchés boursiers
L’information perd de sa définition lorsqu’elle prend la couleur des intérêts personnels. Demandez si l’immobilier perd de sa valeur. Le portefeuille de l’entrepreneur immobilier vous dira, d’un air suffisant : « Que nenni ! » L’orgueil du nouvel acquéreur vous dira, d’un air averti : « Sûrement pas ! » La commission de Mademoiselle Agence vous dira, avec un clin d’œil complice : « N’y comptez pas ! » Le cœur les comprend… et pourtant… les faits ne les épargnent pas.
Quand la baisse des prix est indubitable
La matière première est la première à corroborer cet état de choses. Si le prix du ciment est plutôt stagnant, celui de l’acier a connu une chute au cours des cinq dernières années. Il se vend aujourd’hui à 640 dollars la tonne, soit -56 % par rapport à 2008.
À cela s’ajoutent des faits parlants. Au constat qui stipule que l’immobilier, de tout temps et de par sa nature foncière, peut gagner en valeur mais jamais n’en perdre, on pourra opposer le rapport économique de Bank Audi daté du 2e semestre 2013, qui indique que le nombre de ventes immobilières a reculé de 7,1 % et que la surface totale des nouvelles constructions a régressé de 16,2 %.
Et qu’en serait-ce, nous demandons-nous, si la Banque du Liban (BDL) n’avait pas autant offert son soutien au secteur immobilier ? La circulaire 313 a permis des subventions dont le secteur immobilier a grandement bénéficié, avec des crédits subventionnés pouvant s’élever à 800 millions de livres par appartement !
Mais certains entrepreneurs immobiliers, agents et marchands de biens ont enfin parlé, et s’accordent pour parler d’une « propagande » qui vise à camoufler la baisse des prix dans le secteur immobilier.
Roger Chbat, propriétaire de la compagnie Chbat Contracting, a ainsi cité plusieurs exemples tirés de son portefeuille : le projet Safra, dans la région de Jwar Adma, où le même appartement qui coûtait 330 000 dollars en 2012 est vendu aujourd’hui à 285 000 dollars (-13,636 %). Son autre projet à Jouret el-Ballout a subi une baisse similaire.
Même son de cloche pour l’entrepreneur Estephan Rachwan, qui évoque son projet résidentiel à Zouk Mosbeh près de la NDU. Le mètre se vendait il y a 3 ans à 1 500 dollars ; il vaut 1 250 dollars aujourd’hui (-16,67 %).
Quant à Youssef Sfeir, entrepreneur immobilier et marchand de biens, il affirme qu’il a vendu le même appartement dans le centre de Ballouneh à 400 000 dollars début 2012 contre 340 000 dollars début 2013 (-15 %). Il parle même d’une baisse de 20 % pour d’autres projets.
Nous avons également recueilli les constats de Joe C. Kanaan, PDG de Sodeco Gestion sal, qui affirme que le prix des appartements de superficie moyenne (de 150 à 220 m2) a subi, même à Achrafié, une baisse de 10 à 15 %. Dans le cas des appartements d’une superficie de plus de 300 m2, le recul des prix atteint 15 à 20 % ; il prévoit que cette baisse pourra aller jusqu’à 25 %.
M. Kanaan évoque aussi une contraction touchant même les prix des appartements situés dans le carré d’or d’Achrafié ; il y a vendu cette année un appartement à 16,25 % moins cher, en comparaison avec 2012. Interrogé sur le mutisme du secteur en ce qui concerne cette baisse de prix, il parle de « déni », de propagande en faveur des parties intéressées.
Quand cette baisse s’explique
Rappelons que la base de toute valeur commerciale est le lien entre l’offre et la demande. Comment les prix de l’immobilier peuvent-ils ne pas baisser lorsque les étrangers n’investissent plus autant au Liban ? Lorsqu’il est recommandé aux ressortissants des pays voisins de ne plus venir chez nous ? Lorsque la demande actuelle est surtout celle des Libanais ? Lorsque ces derniers perçoivent des salaires dérisoires ? Lorsque l’environnement régional et national est turbulent ? Lorsque les banques facilitent le crédit immobilier pour l’acheteur et multiplient les contraintes pour l’entrepreneur immobilier ? Lorsque l’offre est exacerbée par rapport à la demande et que des milliers d’appartements cherchent acquéreur ?
Le rapport économique de Byblos Bank daté de juin dernier indique que la valeur des appartements à Beyrouth, dont la construction a été finalisée en 2012, et non vendus, s’élève à 398 millions de dollars. L’équation est simple : baisse dans la demande, baisse dans les prix !
Par ailleurs, la déflation observée aujourd’hui trouve sa logique intrinsèque dans l’inflation observée hier. Avec la crise de 2007 et le dépôt de bilan de Lehman Brothers aux États-Unis, le Liban a bénéficié de flux de capitaux impressionnants.
Ce même flux modifie aujourd’hui son cours vers les pays du Golfe où la situation est plus prospère.
En outre, les investisseurs considèrent actuellement plusieurs autres alternatives : les États-Unis, remis sur pied, ou l’Europe, où il fait bon d’acquérir un petit appartement à Madrid. En tout cas, il n’est plus question pour eux de trouver un havre immobilier au Liban.
Quand solutions citoyennes et économiques vont de pair
Sans prétendre apporter au diagnostic des remèdes absolus, l’on peut affirmer que l’investissement vertical dans la construction d’appartements de superficie réduite (entre 80 et 150 m2) est une de ces solutions qui peut profiter à trois entités.
L’investisseur d’abord, qui verra augmenter sa marge de profit. Le consommateur ensuite, qui verra le prix du logement répondre à son budget. Le développement durable enfin, car les espaces verts seront plus épargnés.
Enfin, les recommandations s’adressent au secteur bancaire. L’action de la BDL est louable : il s’agit en effet de subventionner solidement les crédits de l’immobilier. Cependant, une meilleure répartition et distribution des allocations serait souhaitée.